Hrant Dink, fédérateur posthume
Le vice-ministre arménien des Affaires étrangères Arman Kirakossian était présent à Istanbul, malgré le gel des relations diplomatiques entre la Turquie et l’Arménie, depuis 1993, en raison d’un différend frontalier. Des dignitaires religieux arméniens vivant à l’étranger avaient répondu à l’invitation d’Ankara d'assister aux obsèques de Hrant Dink, parmi eux, Khajak Barsamian, Primat du diocèse oriental des Etats-Unis d’Amérique. Y assistait également une délégation arménienne de France, qui se rendait pour la première fois en voyage officiel en Turquie. Le gouvernement turc était représenté par le vice-Premier ministre, Mehmet Ali Sahin, et le ministre de l’Intérieur Abdülkadir Aksu.
La foule arborait des petits panneaux avec la mention «nous sommes tous Arméniens» et, «nous sommes tous Hrant», en turc et en arménien. Pour un pays où le mot arménien est une insulte, «quel grand pas que de dire, aujourd’hui, nous sommes tous Arméniens», a confié un journaliste arménien. Une jeune étudiante d’origine arménienne, Melissa Sivri, estime que «ce que Hrant n’a pas pu faire de son vivant, il l’a fait avec sa mort : l’unité». Au cours de l’office religieux à la mémoire de Hrant Dink, le patriarche arménien de Turquie, Mesrob II, a lancé un vibrant appel aux dirigeants turcs leur demandant d’œuvrer «d’urgence pour éradiquer les sentiments anti-arméniens», ajoutant, «la mort de Hrant a, de manière paradoxale, permis de rassembler les responsables d’Ankara et d’Erevan ».
Issu de la communauté arménienne (80 000 membres), Hrant Dink, était Turc et fier de l’être. Il s’est toujours distingué par son dévouement à la cause du dialogue turco-arménien. Cet intellectuel, co-fondateur de l’hedomadaire Agos, en 1996, partageait ce point de vue avec d’autres figures emblématiques, comme le prix Nobel de littérature, Orhan Pamuk. A leurs côtés, d’autres esprits éclairés, historiens et journalistes, également soucieux de regarder la réalité en face. La relance du débat a été favorisée par les négociations entre Ankara et l’Union européenne. Les Etats membres posent comme préalable à l’adhésion (même lointaine) de la Turquie à la Communauté, sa reconnaissance du génocide arménien durant la Première Guerre mondiale, ce que ne requièrent pas les critères démocratiques de Copenhague (1993), qui définissent les conditions d’accession, pour chaque Etat voulant entrer dans l’Union. La France est le seul pays occidental à avoir adopté, en 2001, une loi reconnaissant le génocide arménien, objet de tensions récurrentes avec la Turquie.
«C’était la guerre»
Les nationalistes turcs récusent le terme de génocide et cette lecture de l’Histoire est inculquée dès le plus jeune âge à l’école. Selon eux, 300 000 Arméniens - et non pas 1,5 million sur une population de 2 millions de personnes, comme l’affirment les Arméniens – ont péri dans la répression d’un soulèvement organisé avec le soutien des Russes. Ankara rappelle que «le pays était en guerre», et exige, par ailleurs, que le nombre des tués soit comparé aux 400 000 soldats turcs tombés au champ d’honneur. Inébranlables, les autorités politiques turques campent sur leur position : «La plupart des victimes arméniennes sont mortes de maladie et de faim, cela n’a rien à voir avec un génocide». Toute remise en cause du dogme équivaut à une trahison. S’attirant les foudres des nationalistes, Hrant Dink y a contrevenu au péril de sa vie.
Un «acte isolé» ou le geste d’un lampiste ?
Bien que le chef de la police turque, Celalettin Cerrah, ait tout d’abord affirmé que «le meurtre n’avait pas de dimension politique» et qu’il s’agissait «d’un acte isolé», il a déclaré à l’agence de presse Anatolie que ses services cherchaient à déterminer si le tueur était lié à une quelconque organisation. La presse impute le meurtre du journaliste d’origine arménienne à un groupuscule implanté à Trabzon, un bastion nationaliste situé sur la côte de la mer Noire (nord-est). L’assassin, Ogün Samast, âgé de 17 ans, arrêté samedi, est passé aux aveux. Il dit ne pas regretter son geste. Le correspondant de l’AFP indique que le tireur aurait été encouragé par son mentor, Yasin Hayal, connu pour ses convictions ultranationalistes. Ce dernier a déjà purgé une peine de prison après avoir commis un attentat à la bombe, en 2004, contre un restaurant McDonald’s, à Trabzon, pour dénoncer l’occupation américaine de l’Irak. Le pistolet avec lequel le jeune Samast a abattu Hrant Dink lui aurait été fourni par Yasin Hayal, qui figure parmi les huit personnes toujours interrogées dans le cadre de l’enquête.
Une occasion historique
Ugur Hüküm est journaliste à la rédaction turque de Radio France Internationale. Il est l’auteur de l’essai «Emergence d’une société civile», aux éditions Autrement. A propos des relations figées entre l’Arménie et la Turquie, il est d’avis qu’un dégel ne peut s’amorcer qu’avec l’aide de l’Union européenne. Il s’agit de reconnaître la réalité arménienne, mais plus de s’entre-déchirer sur génocide ou massacre. Selon Ugur Hüküm, «les gouvernements respectifs pourraient rouvrir le débat, mais ils restent prudents, car ils craignent les réactions de l’opinion publique». La mort de Hrant Dink pourrait être «une occasion historique» de rapprochement. Rafel Dink, qui s’est adressée, en pleurs, à la foule, a indiqué que, pour son mari, il n’y avait pas de «tabous et d’intouchables».
Keine Kommentare:
Kommentar veröffentlichen